mercredi, juillet 14, 2004

La tentation américaine

Il y a un phénomène dont on parle peu dans la presse qui mériteraait qu'on s'y attarde : ce que j'appelerai la tentation américaine ou, si l'on préfère, le lent mouvement de transfert vers les Etats-Unis des centres de décision d'entreprises européennes ou françaises. Cela concerne surtout des entreprises internationales, basées à Paris, qui ont des filiales, desa ctivités aux Etats-Unis et qui progressivement importent des pratiques américaines, confient des responsabilités de plus en plus importantes à leurs équipes basées aux Etast-Unis, voire même se délocalisent complètement. On se souvient de Jean-Marie-Messier transformant une entreprise vendant de l'eau aux municipalités frnaçaises allant s'installer à New-York. Mais on pourrait citer bien d'autres cas. Parmil les plus récents, il y a Temposoft. Cette société informatique créée à Paris pour développer des logiciels de planification a déplacé il y a quelques mois son siège social à Chicago et s'est du même coup séparée de sa direction française. Temposoft est un cas exceptionnel, mais on pourrait citer ces entreprises dans lesquelles les directions générales se mettent à parler anglais pour ne pas gêner le responsable américain qui ne sait pas le français, ce qui crée cette situation absurde où l'on voit 19 directeurs français baragouiner un mauvais anglais devant un américain qui ne comprend pas un mot sur deux de ce qui lui est dit, mais qui aura retenu de la situation qu'il appartient à une espèce supérieure : si sa langue l'emporte sur les autres, ses méthodes, ses manières de faire et de voir le monde doivent également l'emporter. On voit également des entreprises (françaises et, bien sûr, européennes) transférer leur direction financière, leurs centres de recherche aux Etats-Unis. Et je ne parle pas de ces dirigeants qui, sous couvert de surveiller de plus près leurs filiales américaines s'installent carrément aux Etats-Unis.
Les arguments avancés par les rares observateurs à s'intéresser à ce phénomène (souvent, d'ailleurs, au Medef ou dans les milieux patronaux où on le mesure mieux) insistent sur les effets pervers des charges sociales (que l'on devrait apprendre à appeler des cotisaitons sociales) ou de l'impôt sur le capital. Ce ne sont certainement pas les seules ni même les meilleures raisons. J'en vois trois autres, plus pertinentes :
- la puissance du marché américain, infiniment plus important que n'importe lequel des marchés européens et, au moins en apparence, plus facile : on n'y parle qu'une langue, les effets frontières ont disparu. Témoignage de cettte puissance : des entreprises européennes comme SAP, autre spécialiste de l'informatique, créent d'abord des produits pour leurs consommateurs américains qu'ils adaptent ensuite à leurs clients dans le reste du monde. Ce faisant, ils se font les alliés, les fourriers d'une sorte d'impérialisme industriel (ce que l'on appelle globalisation n'est souvent que cela) qui ne peut que leur faire du tort;
- la richesse du marché du travail américain sur lequel on peut trouver facilement des collaborateurs de qualité,
- la puissance d'attraction des Etats-Unis et de la société américaine. S'il est difficile pour un directeur des ressources humaines d'envoyer au Japon ou en Allemagne un jeune collaborateur, il est beaucoup plus facile de l'envoyer aux Etats-Unis, pays qui malgré tous ses défauts et toutes les critiques qu'il suscite continue de fasciner.
Ces dévéloppement sont naturellement inquiétants : l'installation des centers de décision aux Etats-Unis est à terme synonyme de délocalisations, de dégradation de la qualité des produits (conçus aux normes américaines qui ne conviennent pas forcément aux consommateurs européens) de perte d'influence des consommateurs européens, de baisse de la valeur sur le marché du travail des européens (comment un italien peut-il faire concurrence à un anglophone de naissance dans une entreprise où l'anglais devient la langue officielle?).
L'Europe pourrait sans doute contribuer à lutter contre ce phénomène. C'est ce qu'elle fait lorsqu'elle favorise la création de sociétés européennes. Il faudrait aller plus vite dans cette direction.

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