mercredi, avril 13, 2005

Dégradation des services publics : l'Europe n'y est pour rien

L’un des arguments les plus souvent avancés par les critiques de gauche de la constitution européenne touche au sort fait aux services publics. L’Europe, nous dit-on en substance, les menacerait, sans que l’on sache bien d’ailleurs s’il s’agit de l’Europe d’avant le Traité constitutionnel ou de celle d’après qui prend en compte la notion d’intérêt général (mais cette confusion est permanente : les critiques du Traité constitutionnel s’en prennent beaucoup plus à l’Europe telle qu’elle existe qu’ils n’ont, pour la plupart, jamais acceptée qu’au Traité lui-même). L’Europe les menacerait en instituant une concurrence qui leur serait, à terme, fatale. Cette analyse est doublement erronée : elle fait l’impasse sur la capacité de nos entreprises publiques à se sortir par le haut de la concurrence et elle néglige les mécanismes qui les éloignent de leurs missions de service public, mécanismes qui n’ont rien à voir avec le Traité constitutionnel ni même avec l’Europe.
L’impasse sur leur capacité à faire face à la concurrence est d’autant plus surprenante que les services auxquels on pense en général, l’électricité, les transports ferroviaires, la poste, sont assurés par des entreprises publiques qui ont fait preuve de leur efficacité et sont, souvent, leader mondial dans leur domaine. C’est le cas d’EDF, c’est celui de la SNCF et de la RTAP, la Poste est également bien placée dans le palmarès des entreprises postales (on pourrait ajouter à cette liste l’APHP qui gère les hôpitaux parisiens, mais les problèmes de la santé sont différents).
En fait, et à l’inverse, de ce qu’assurent les critiques de l’Europe, ces entreprises publiques sont particulièrement bien placées sur leurs marchés respectifs. Elles ont de nombreux atouts qui tiennent à leur histoire. Toutes ont bénéficié depuis la guerre de quelques avantages majeurs :
- les investissements massifs de l’Etat jusqu’au milieu des années 80 qui leur ont permis de développer des technologies en pointe, qu’il s’agisse de l’énergie nucléaire ou des trains à grande vitesse,
- leur statut de sociétés publiques qui les a contraint à créer des services de masse et à concevoir des produits grand public (on se souvient, par exemple, de Charles Fiterman qui a imposé que le TGV soit ouvert aux secondes classes),
- leur position de monopole qui leur a permis de consacrer l’essentiel de leurs efforts au développement techniques,
- des liens privilégiés avec les grandes écoles d’ingénieur auxquelles elles ont longtemps offert leurs premiers débouchés, un atout que n’ont pas forcément eu leurs concurrents étrangers.
Elles en ont profité pour développer une offre de service de qualité qui butte aujourd’hui sur une triple difficulté :
- la difficulté d’assurer des missions de service publique égale pour tous,
- la complexité croissante des systèmes de prise de décision publique dés qu’il s’agit d’infrastructures,
- les limites du marché français qui ne leur offre plus les espaces de croissance dont elles ont besoin pour développer leurs technologies et les maintenir au meilleur niveau.
La première de ces difficultés est patente à la SNCF : en mettant l’accent sur les trains à grande vitesse, la SNCF a sans doute sauvé le train, mais elle a en même temps développé un mode de transport coûteux et réservé à une clientèle relativement aisée. Les billets de TGV ne sont pas accessibles à tout le monde et le monopole de la SNCF sur les transports publics interdit le développement de transports meilleur marché : les sociétés d’autocar dont les coûts sont beaucoup plus faibles n’ont pas le droit de créer des liaisons qui feraient concurrence à la SNCF. Ceux qui ne peuvent s’offrir les billets de TGV sont, en pratique, interdits de voyager en transports en commun sur de nombreuses relations.
La seconde difficulté est évidente à EDF : on ne peut plus aujourd’hui construire en France de centrale nucléaire sans déclencher un tollé. Les éoliennes chères aux écologistes suscitent une opposition si vive de tous les riverains que l’on peut douter de leur développement.
Quant à la troisième difficulté, il se suffit de se souvenir des difficultés d’Alstom pour la comprendre : si la SNCF avait plus vendu à l’étranger ses compétences, l’industriel qui fabrique ses matériels à grande vitesse n’aurait pas tant souffert.
En fait, toutes ces entreprises souffrent depuis quelques années d’une même maladie : elles manquent d’air en France. Elles ont besoin pour se développer de traverser les frontières, de vendre à l’étranger leur savoir-faire. C’est la condition sine qua non pour qu’elles puissent continuer de se développer et de faire évoluer les prestations et les techniques qu’elles nous offrent en France. Leur interdire de sortir de nos frontières serait les asphyxier.
Mais sortir des frontières présente deux inconvénients :
- cela force à changer à terme de statut : on imagine mal un gouvernement étranger accepter que des entreprises contrôlées par l’Etat français prennent longtemps en charge des missions de service public,
- cela se fait au dépens des missions de service public en France. On voit bien que la SNCF consacre l’essentiel de ses efforts à ses réseaux de train à grande vitesse et néglige les dessertes locales que ne financent pas les régions.
A l’inverse de ce qu’avancent les adversaires du Traité constitutionnel, les menaces sur le service public ne viennent pas de l’Europe, de la concurrence qu’elle organiserait systématiquement, mais des entreprises publiques elles-mêmes, de leur besoin de sortir de France pour continuer de vivre et de se développer. Est-ce à dire que les services publics sont condamnés ? Non. Cela veut simplement dire qu’il faut les organiser autrement. Et c’est justement ce que propose le Traité constitutionnel lorsqu’il parle de services d’intérêt général. L’important est qu’il existe un système de transport public à des prix accessible entre Montreuil-Bellay et Thouars. Qu’il soit assuré par la SNCF ou par un opérateur privé importe en rélité peu.

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